Michel Lemieux - Chroniqueur
La saga devient totalement loufoque. Pénible jusqu?ici, la débandade du Canadien de Montréal se transforme maintenant en concours de chasseurs de tête chez de trop nombreux commentateurs et journalistes préoccupés par l?avenir de l?équipe.
Qu?un chroniqueur sportif estime et claironne qu?un directeur-gérant ou un entraîneur soit mis à la porte n?a rien de nouveau. À Montréal en particulier, la presse a très souvent initié le processus du congédiement d?un instructeur. Plus encore, les journalistes sont régulièrement affublés du titre de fossoyeurs par excellence pour ceux qui osent accepter ce boulot derrière le banc. Tôt ou tard, les entraîneurs deviennent la victime idéale à sacrifier parce que c?est la voie la plus simple à emprunter pour trouver un coupable du cafouillage chez une équipe. À Montréal en tous les cas, c?est patent. On ne compte plus les entraîneurs qui sont passés à la guillotine depuis 20 ans.
Un journaliste est dans son plein droit de commenter et de critiquer le travail de ces hommes derrière le banc. Souvent il obtient des informations privilégiées qui lui permettent de dire ou d?écrire que le bordel est installé dans la chambre et que la lune de miel est terminée entre une majorité de joueurs et leur instructeur. Mais il y a un Everest entre livrer l?information, entre confirmer que le message ne passe plus et devenir justement un « chasseur de tête » pour dénicher le successeur de l?homme qui était en sursis comme c?était, depuis son premier jour, le cas pour Randy Cunneyworth. Il serait injuste de porter un jugement sur les capacités de Cunneyworth à mener une équipe, pour la simple raison qu?on lui a confié une formation complètement en lambeaux, sans ressources, sans profondeur et démunie à toutes les positions. Cunneyworth a gaffé en acceptant ce poste et, malheureusement pour lui, il a ainsi fait un pas en arrière plutôt que d?aller de l?avant dans sa carrière. On lui souhaite d?avoir une autre chance, de façon à faire ou non la preuve de son talent.
À la suite de l?enterrement du Canadien, puis des funérailles de ceux qui ont déchiqueté cette équipe, la mission de nombreux membres de la presse pour dénicher les successeurs devient farfelue. On se croirait en pleine cabale pour l?élection d?un chef de parti. Je ne me souviens pas avoir, au cours de ma carrière de 50 ans dans ce métier, moussé la candidature d?un seul homme de hockey. Et pourtant j?étais là, en 1961-62 lorsque Len Corriveau dirigeait les Citadelles Junior, lors de l?arrivée de Guy Lafleur chez les Remparts en 66-67, quand Phil Watson dirigeait les As de Québec de la Ligue Américaine dans les années 70 et durant le bref passage de deux jours de Maurice Richard derrière le banc des Nordiques, équipe que j?ai suivie comme journalise durant toute son existence.
Promouvoir l?embauche d?un entraîneur peut devenir un piège pour un scribe. C?est se lier les mains. Surtout si deux ans plus tard vous estimez que votre candidat est dépassé par les événements.
Le cas Martin
Le plus bel exemple est le cas de Jacques Martin, que j?avais appris à connaître chez les Panthers, durant trois années. Personne n?avait vu venir sa nomination chez le CH. Un secret vraiment bien gardé. Pourtant je suis très proche de Marcel Aubut, l?agent de Martin. Toute la presse montréalaise festoyait et encensait ce nouvel entraîneur, qui devait mettre de l?ordre dans ce foutu bordel. Moins de trois ans plus tard, combien de ces mêmes scribouillards ne se gênaient pas pour le pendre en effigie? Le même Jacques Martin était soudainement devenu un Moron. Lors de son embauche, voici ce que j?écrivais. Les journalistes de la Métropole jubilent mais ils vont rapidement constater que Jacques est un homme de peu de mots. Ils s?ennuieront. Les amateurs eux aussi vont désenchanter devant le spectacle terne d?une défensive à outrance que leur offrira l?équipe de Martin. Mais justement Martin était un entraîneur fait sur mesure pour une équipe comme le Canadien qui peut espérer gagner uniquement en limitant les dégâts.
Rien à voir avec l?homme. Jacques Martin est attachant. L?instructeur qu?il est, c?est autre chose. En plus il n?avait sûrement pas les soldats d?une vraie armée. Il a été limogé de façon cavalière par Gauthier, grand responsable de ce vrai désastre. Jacques Martin a trouvé d?ardents défenseurs pour sa cause, uniquement au cours de la descente aux enfers de l?équipe sous la tutelle de Cunneyworth.
En ce moment des confrères moussent la venue d?un Patrick Roy pour remplacer Pierre Gauthier ou Cunnyworth. La liste s?allonge chaque jour. Que l?on cherche qui sont les candidats pour ces fonctions et qu?on le publie est une chose. Mais que l?on cabale pour celui que l?on voudrait voir hériter du poste, il y a une marge. On peut estimer qu?un homme de hockey serait « le candidat idéal ». Toutefois il me semble que ce n?est pas notre rôle de préparer le terrain pour sa venue. Emprunter cette avenue s?apparente trop à la partisanerie inconditionnelle. Garder ses distances, c?est protéger son objectivité.
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Photo (ci-haut) :Les nombreux journalistes qui couvrent le Canadien.