Céline Chabot - CHRONIQUE LITTÉRAIRE
PURGE
Sofi Oksanen, roman, Éditions Stock, 395 pages
L'écrivaine finlandaise Sofi Oksanen nous transporte en Estonie par le biais de ce roman historique drôlement bien ficelé. On y effectue un va-et-vient de mai 1949 (époque de déportation massive vers la Sibérie) à 1992, alors que l'Union soviétique s'effondre et que les soldats russes quittent enfin le pays. Une jeune fille affolée (Zara) se réfugie chez une paysanne âgée (Aliide), dont le lourd passé nous est graduellement révélé. Leur rencontre - qui n'est pas due au seul fait du hasard - fera tomber des murs au sens propre comme au figuré. «Ingel disait qu'Aliide s'était mise à puer le Russe. La même odeur que les gens qui avaient fait leur apparition à la gare, assis parmi tous leurs ballots. Les trains en vomissaient sans cesse, et les nouvelles usines les avalaient.» Purge est assurément une pièce de collection pour ceux qui s'intéressent à l'Histoire, particulièrement aux drames humains liés à la seconde guère mondiale.
TON NOM EST NIKUTSHASH - Récits par hasard
Monique Miville-Deschênes, récits, 331 pages, Éditions Trois-Pistoles
Les combats menés par Mme Miville-Deschênes sont d'une tout autre nature et multiples, on le sait déjà. Ce n'est pourtant pas ce qui prime dans ces récits à saveur autobiographique empreints d'humour, de poésie et d'une touche de nostalgie. Vous trouverez même une pièce de théâtre à la toute fin de l'?uvre, que l'on pourrait qualifier de fourre-tout littéraire (lire ici: heureux mélange). Ce livre, où vont mourir quelques amertumes, était nécessaire: «Des comptes à rendre? À mon c?ur. Être présente pourtant. Témoin veilleuse. Berceuse berçante. Dérangeante: ça va de soi si j'ai une conscience.» Encore une fois, j'ai été frappée par sa perception en profondeur des problèmes de société. Dans son roman intitulé Chavire, Monique Miville-Deschênes pressentait le drame qui guettait Haïti un an avant le séisme. Avec Ton nom est Nikutshash, devançant le conflit qui domine l'actualité depuis février, elle aborde brièvement la dynamique: révolte populaire/répression. Visionnaire ou ultralucide? Terminons avec cette phrase, inscrite en quatrième de couverture, qui m'interpelle tout particulièrement: «Elle raconte beau, elle raconte franc.» Très juste.
PARS, NTANGU!
Aurélie Resch, roman, Éditions David, 184 pages
Sierra Leone, 1998. Onika assiste impuissante au meurtre de sa fille et à l'enlèvement de son fils. Ce dernier, du haut de ses 13 ans, passera du statut de garçon serein et serviable à celui d'enfant-soldat dénué de tout état d'âme, de toute sensibilité. La métamorphose est aussi rapide qu'elle est radicale et irréversible. «Des gamins en tee-shirts déchirés, des filles en treillis trop grands pour elles, un sac à dos en peluche rose sur les épaules, un AK-47 dans les mains.» Sa mère n'aura de cesse de le retrouver, mais le Ntangu qu'elle a élevé n'existe déjà plus. Bien documenté, le roman a pour trame de fond une guerre visant le contrôle de zones riches en diamant, précieux minéral revendu clandestinement au Libéria voisin*. On apprend à connaître au fil des pages une travailleuse humanitaire montréalaise et un Casque bleu originaire d'Ottawa. S'ils ont su, en Afrique, faire preuve d'une force de caractère exemplaire, Béatrice et Kent affrontent ici des difficultés personnelles qui les dépassent. Ils trouveront tout de même en eux assez de force pour soutenir Onika dans une quête qui s'avère riche en surprises et rebondissements.
* Soulignons que l'ex-président libérien Charles Taylor était récemment condamné à 50 ans de prison pour les crimes commis pendant la guerre civile en Sierra Leone (1991 à 2002).