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LA GROSSESSE INSULAIRE

 

Bedaine
Sylviane Lord- L?OIE BLANCHE

Les insulaires vivent dans un milieu tout à fait unique. Ils doivent quotidiennement s?adapter aux contraintes liées aux transports maritimes et aériens qui les relient au continent, sujets aux aliéas de Dame Nature. Dans ce contexte d?isolement, la maternité devient une expérience particulière.

En 2012, l?Isle-aux-Grues voit sa population croître avec de nouveaux arrivants tout à fait particuliers. Quatre nouveaux-nés viendront s?ajouter à la communauté gruoise. Pour les insulaires, la venue de ces poupons est tout à fait spéciale, puisqu?il n?y a pas nécessairement de naissance tous les ans à l?île, d?autant plus que ce n?est pas seulement qu?un, mais bien quatre jeunes bambins qui feront entendre leurs gazouillements sur les berges de l?Isle-aux-Grues.

Bébé s?en vient

Édith Rousseau, coordonnatrice à la Corporation de développement touristique de l?Isle-aux-Grues, est l?une de ces jeunes mères gruoises qui accouchera sous peu de son premier enfant. Native de l?île, elle se réjouit de pouvoir élever son petit dans la région qui l?a vu grandir. «C?est un cadeau d?être venue au monde à l?île», affirme la future maman. «Ici, tout le monde se connaît. Les liens sont très forts. On est très solidaire.»

N?empêche que ce n?est pas évident d?être dans l?attente d?un accouchement imminent dans ce contexte d?isolement. Pour sa part, Édith a pris la décision de quitter l?île trois semaines avant la date prévue de l?accouchement. L?une de ses tantes l?héberge à Montmagny en attendant le jour J. «Je n?ai pas voulu attendre à la dernière minute. On ne sait pas la température qu?il fera. On ne connaît pas les vents qu?il y aura. S?il y avait une urgence, l?avion peut nous traverser. Ce n?est pas un problème. Aujourd?hui, en 2012, on a les transports adaptés pour ça. Par contre, moi, pour être plus à l?aise, je vais quitter l?île en attentant l?accouchement», a expliqué Mme Rousseau. Reste qu?elle n?est ni première, ni la dernière, à vivre cette expérience. Bien avant elle, les femmes de l?île composaient avec ces contraintes d?éloignement.

Naître à l?île

La Gruoise Anna Vézina a vécu l?expérience de la grossesse en milieu insulaire à 4 reprises. Les trois premières fois, la traversée en bateau lui a permis d?accoucher en milieu hospitalier. Mais elle s?est fait «jouer le tour» lors de sa quatrième grossesse. Sans marée, aucun bateau ne pouvait la mener à bon port. «Il n?y avait pas d?avion, non plus», raconte Mme Vézina. «Mes contractions ont commencé vers minuit. À cette époque, on habitait dans la maison avec mes beaux-parents. Il n?y avait qu?un mur qui nous séparait. Je suis donc partie chez mes parents. Pour faire une histoire courte, j?ai accouché sur le divan neuf que mon père venait d?acheter. À 5h20 du matin, Véronique venait au monde», se remémore celle qui a également vu le jour sur cet archipel. «Je pense que j?était dûe pour accoucher sur l?île.» Aujourd?hui grand-mère, Mme Vézina est ravie de pouvoir côtoyer quotidiennement ses petits-fils et sa petite-fille, les enfants de Véronique, qui vivent eux aussi à l?Isle-aux-Grues.

Accoucher en hiver

Son amie Rachelle Bernier a aussi vécu l?expérience de la grossesse insulaire à trois reprises. Se définissant comme une femme peu mature et plutôt nerveuse, la Gruoise attendait son premier enfant pour le 4 décembre de l?hiver 74. «Cette journée-là, il faisait une tempête de vent. C?était le 12 novembre. En m?assoyant pour prendre ma collation, mes eaux ont crevé. Comme le bateau était déjà rendu à Montmagny, j?ai traversé de justesse en avion», se rappelle Mme Bernier. Deux ans plus tard, son second enfant était attendu encore une fois durant la période hivernale. Inquiète et nerveuse, Mme Bernier se souvient à ce moment d?avoir prier: «Mon Dieu, pourquoi tu m?as fait partir enceinte pour le mois de janvier? Tu le sais que j?ai peur!» Suite à cette prière, elle perd son bébé à deux mois de grossesse. Heureusement, peu de temps après, elle redevient enceinte d?un enfant attendu pour le mois d?août. Cette fois, elle quitte l?île trois semaines avant la date prévue de l?arrivée du bébé, un luxe que ses parents lui ont offert, d?autant plus que son amie Anna avait accouché un mois plus tôt sur l?île, rien pour rassurer le jeune femme de nature nerveuse.

La mémoire de cette raconteuse recèle de nombreux souvenirs et anecdotes entourant les accouchements causasses qui se sont produits à l?Isle-aux-Grues au cours des dernières décennies. Ce sont mille et une histoires, dont celle de sa s?ur qui a crevé ses eaux chez ses parents, à l?Isle-aux-Oies, en plein hiver, et qui a traversé en habit de neige, à bord d?un canot à glace, jusqu?à Montmagny, pour donner naissance à son enfant. Maintenant grand-mère, elle se réjouit de savoir que ces petits-enfants magnymontois ont la chance de pouvoir profiter de tous les services offerts dans la municipalité située de l?autre côté du fleuve Saint-Laurent.

L?entraide à défaut de services

Vivre en région éloignée signifie parfois avoir un accès restreint à certains services. Depuis 1999, il n?y a plus d?école primaire à l?Isle-aux-Grues. Le faible nombre d?inscriptions, ainsi que le souhait des parents de voir leurs enfants accéder à de meilleures ressources et à un enseignement plus adéquat, a amené les étudiants à traverser en avion tous les jours de la semaine pour se rendre à l?école. Aujourd?hui, les jeunes familles qui font le choix de vivre en milieu insulaire doivent composer avec cette réalité. «C?est un choix qu?on a à faire», répond Édith Rouseau qui a fréquenté l?école primaire de l?Isle-aux-Grues, mais également connu la traversée quotidienne en avion. «Au cours des dernières années, les jeunes couples ne restaient pas à l?île. Il n?y a pas de garderie. On a pas nécessairement tous les services», a expliqué la future maman. «Mais en étant quatre jeunes mères en 2012, on va essayer de se rallier ensemble et de s?entraider pour que nos enfants aient un bel avenir à l?île.»

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