Des commentateurs de tout acabit ont tiré toutes les conclusions possibles du rapport du juge Bastarache. Selon que l'on soit pour ou contre les allégations de Me Bellemarre, les réactions diffèrent. Mon propos d'aujourd'hui n'a pas pour but de vous dire qui des deux opposants a eu raison, car vous avez eu l'opportunité de vous faire une idée à la lumière des comptes-rendus écrits ou télévisés.
Je voudrais plutôt m'attarder sur la procédure que devait suivre le juge Bastarache à la présidence de cette Commission. En effet, selon qu'il s'agisse d'une enquête de nature civile ou de nature criminelle, les règles de procédure ne sont pas les mêmes.
S'il s'agit d'une enquête criminelle, la personne qui accuse a le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la véracité de ses accusations. Cela signifie qu'une personne normale avec un jugement normal doit être convaincue sans l'ombre d'un doute que les faits reprochés ont été prouvés. Et pour être acquitté, l'accusé doit soulever un doute raisonnable dans l'esprit du juge. S'il a le moindre doute, face à la preuve faite devant lui, il doit en faire bénéficier l'accusé. Toutefois, ce doute ne doit pas en être un de sympathie ou de faiblesse, mais il doit être le résultat d'une étude sereine de l'ensemble de la preuve. Dans le cas de la Commission Bastarache, ce sont les règles en matière civile qui doivent être appliquées et elles sont bien différentes de celles qui prévalent en matière criminelle.
Ces règles énoncent que celui qui accuse doit présenter une preuve que l'on appelle prépondérante, au soutien de ses allégations. Cela signifie que la preuve qu'il présente doit avoir plus de points crédibles que celle présentée par celui ou celle que l'on accuse. L'accusateur a le fardeau de la preuve, c'est lui qui doit convaincre le juge de la véracité de ce qu'il reproche à l'autre. Il doit présenter des témoins crédibles ou des preuves documentaires solides. S'il ne réussit pas à présenter cette preuve prépondérante, le président de la Commission n'a pas d'autre choix que de rejeter les allégations. Le juge doit soupeser chaque témoignage et lui donner son appréciation. Une fois tous les témoins entendus, il évalue le poids de la preuve présentée par celui qui accuse, par rapport à celle présentée par celui qui est accusé. Puis il tire ses conclusions. Vous avez lu ou entendu celles du commissaire et je ne m'étendrai pas plus longtemps sur le sujet.
Toutefois, qu'il me soit permis d'émettre mon opinion sur les conséquences de cette enquête, particulièrement sur le degré de crédibilité que bon nombre de citoyens semblent accorder à la magistrature en général. Certaines personnes, par leurs propos ont, volontairement ou non, jeté un certain discrédit sur la réputation des juges, comme si ceux-ci étaient prêts à rendre une justice biaisée, pour faire plaisir à ceux qui les nomment.
J'ai exercé la justice pendant 36 ans et j'ai vu mes collègues travailler de toutes leurs tripes en toute bonne foi, pour rendre une justice neutre, conforme à la loi et à la preuve, sans se soucier de la provenance des parties en cause ou de leur allégeance politique. Je déplore vivement que certains propos lancés dans le feu des débats aient pu susciter autant de doutes sur la crédibilité de la magistrature, affectant du même coup sa réputation. Les juges sortent de cette aventure avec une image altérée qu'ils ne méritent pas. Et comme ils sont tenus de respecter une certaine réserve dans leurs propos, ils n'iront pas sur la place publique tenter de redorer leur blason. Ils vont continuer de travailler selon leur conscience, en espérant que les justiciables réalisent le plus tôt possible que le Québec possède avec fierté une magistrature qui peut être citée en exemple n'importe où dans le monde!