25 novembre 2011 - Je suis Éric Chiasson, médecin psychiatre, et je joins ma voix à celle des indignés. Le mouvement Occupy ne fait certainement pas l?unanimité.
Si c?était le cas et que tout le monde sortait de chez eux et ne rentrait plus, vous pouvez imaginer les conséquences sur notre système. Je ne suis pas sortie dans la rue, du moins pas encore. Ma position est délicate. J?ai des patients à soigner et je ne voudrais pas mettre ma famille en difficultés. Toutefois, ce n?est pas parce que je ne suis pas encore sorti que je suis contre ce mouvement. J?irais même jusqu?à avancer qu?une partie de moi se dit que la chose éthique à faire pour moi, mes proches et mes patients, serait de me joindre à eux.
D?abord, je tiens à attirer votre attention sur un fait. L?opinion que nous avons du mouvement est fortement influencée par l?information qui nous est rapportée. La première question que nous devons nous poser est celle-ci : « À qui appartient le média d?information et quel est son intérêt dans le mouvement Occupy ? » Il existe de moins en moins de sources de médias d?informations indépendants. Mise à part LeDevoir , LaMetropole.com, RueFrontenac. la plupart de nos autres journaux, stations radios et chaînes télévisées sont liées soit à l?État, soit à des grandes entreprises comme Quebecor Media et Power Corporation of Canada.
Pouvons-nous réellement faire confiance à ces sources d?information pour nous donner l?heure juste sur un tel sujet que celui des indignés ? La question vaut la peine d?être posée : « Pourquoi vous transmettraient-ils des informations qui risqueraient de les mener à leur propre perte ? » Est-ce que vous ferriez cela à leur place ?
J?ajoute à cette réflexion un deuxième point. Une bonne partie des informations que nos médias nous transmettent ne proviennent pas d?un journaliste qui est allé chercher les informations sur place. En fait, la plupart des nouvelles nationales et internationales sont achetées à des agences de presse. Ces agences vendent les nouvelles et comme elles sont là pour faire un profit, la question qu?il est légitime de se poser est : « Combien ça coûte pour faire modifier ou créer telle ou telle nouvelle, et qui a les moyens de le faire ? »
Mon point, ce n?est pas de faire porter le blâme à un individu ou à un média particulier. Ce que je veux souligner, c?est le fait qu?il existe tout un système derrière les informations qui nous sont transmises, qui n?a pas intérêt à ce que la population se joigne au mouvement Occupy Wall Street. Alors, ceux qui désirent se forger une opinion sur le mouvement doivent prendre en considération qu?il y a des conflits d?intérêt et beaucoup d?argent en jeu.
Un exemple : Qui parmi vous savait que le 17 novembre dernier, on dénombrait 2,609 campements Occupy dans le monde ? Très peu de gens sont conscients de l?ampleur que le mouvement a prise au cours des deux derniers mois. La plupart des médias s?attardent surtout à discréditer le discours et les actions des indignés et à attirer notre attention sur le fait que le mouvement est en perte de vitesse. On s?inquiète beaucoup plus du risque d?incendie des structures en bois dans les campements de Montréal et de Québec que d?un problème qui a pris une envergure mondiale. C?est normal ! Il faut prévoir qu?on va tenter d?étouffer ce mouvement. Il faut prévoir que les forces à l??uvre voudront calmer le jeu. Pourquoi agiraient-ils autrement ?
Alors si vous voulez vous faire une idée honnête, vous devrez vous débrouiller seuls. Vous devrez identifier les médias indépendants pour éviter les conflits d?intérêt et vous devrez passer du temps sur les réseaux sociaux pour obtenir des informations de gens qui sont sur place. Sinon, vous devrez vous contenter de bien peu. Vous risquez même de vous réjouir que la ville ait rendu un parc à ses citoyens, alors que ceux qui l?occupaient avaient peut-être plus à vous offrir. Bien sûr, cette dernière suggestion peut paraître farfelue après tout ce qu?on nous a dit sur eux !
Comme le souligne Dr Willy Apollon dans ses conférences « Psychanalyse et Mondialisation : Autrement, c?est quoi ?... » : Pour la première fois dans l?histoire de l?humanité, tous les êtres humains sont confrontés au même problème, au même moment. Vous voyez bien que lorsqu?un mouvement se propage aussi rapidement dans tous les pays du monde, il ne s?agit pas d?un simple problème Québécois, Américain ou Égyptien ! Il s?agit d?un problème mondial. Posé comme ça, vous voyez tout de suite la difficulté pour les différents pays. Si le problème qu?a entraîné la mondialisation concerne tous les humains en même temps, comment les pays feront-ils pour gérer ça ? Inévitablement, un jour, la solution concernera tout le monde, mais pour le moment, chaque pays va tenter de gérer ce qui est entrain de se passer chacun de leur côté et pour y arriver, ils n?auront pas d?autre choix que de tenter de nous couper du reste du monde.
La solution temporaire au problème passera par une vielle solution qui est celle de la censure. Les autorités ont perdu le contrôle de l?information. Le mouvement Occupy en est le plus récent exemple. Un groupe a proposé de manifester, et en très peu de temps, l?idée a fait le tour de la planète. Il s?agit là d?un réel problème pour les autorités. Il ne faut donc pas s?étonner qu?à l?intérieur du projet de loi SOPA (Stop Online Piracy Act), on retrouve les outils nécessaires pour censurer l?information qui risquerait de faire en sorte qu?un jour, l?envie vous prenne de vous indigner vous aussi. Faites-vous confiance à votre système pour décider de l?information qui devrait vous être transmise et celle qui doit vous être cachée ?
Les jeunes de 15 à 35 ans, qui ont grandi dans la mondialisation, ne sont pas étonnés par ce que j?écris ici. Avec la coprésence des cultures différentes, les valeurs sont progressivement tombées. Elles sont tombées parce qu?on a vite fait de réaliser que ce qui était interdit dans un pays ne l?était pas dans l?autre et vice versa. Puis dans chaque culture, au bout d?un certain temps, les institutions qui véhiculaient et soutenaient les valeurs ont manqué d?arguments. Les jeunes de ma génération et de celles qui ont suivi sont des gens qui ont grandi dans un univers où les valeurs n?étaient plus crédibles.
J?ai beau être médecin, j?ai tout de même 30 ans et j?éprouve la même difficulté à marcher dans notre système. Et plus le temps avancera, plus il y aura d?indignés. Ils ne porteront peut-être plus ce nom, ils n?occuperont peut-être plus des places publiques, des campus universitaires ou des immeubles abandonnés, mais il y en aura de plus en plus car les institutions qui auraient pu servir d?exemple accumulent les scandales. Les gens ressentent peu à peu que ces institutions sont du côté de la corruption ; d?abord l?Église, puis ensuite l?État, puis bientôt les Médias.
Aujourd?hui, les parents sont laissés à eux-mêmes. Ils ne peuvent plus compter sur leurs institutions pour soutenir les valeurs qu?ils tentent d?inculquer à leurs enfants chez eux. Aujourd?hui, les valeurs dans votre maison n?ont souvent rien à voir avec les valeurs chez vos voisins. Si vous vivez dans une grande ville, c?est encore plus évident. Puis dès que les enfants mettent le nez dehors et rentrent à l?école, ils sont rapidement confrontés à cela. Il n?y a pas de valeurs valables pour tous. Par conséquent, si ce n?est pas interdit pour d?autres, pourquoi le serait-ce pour moi ?
Les nouveaux parents et les professeurs d?école ressentent cela. Il n?y a plus de raison valable pour interdire. Le discours des parents ne tient plus. Le discours des institutions ne tient plus. Les discours qui soutiennent notre système ne tiennent plus. Il n?y a plus d?arguments pour justifier ce qui se passe dans le monde. Peut-être pire encore, il n?y a plus beaucoup d?arguments pour poser des interdits à nos jeunes. Dr Apollon posait la question : « Existe-t-il encore une autorité que vous ne critiquez pas ? Et si vous critiquez l?autorité, est-ce encore une autorité ? »
Les gens de ma génération et les occupants de Wall Street ne sont pas responsables de la perte de crédibilité des institutions qui devaient véhiculer les valeurs du système dans lequel nous sommes. Des gens avant nous sont responsables de ça.
Si le mouvement gagne en popularité, ce n?est pas simplement parce qu?il rassemble des gens autour de revendications ou de dénonciations communes. S?il y a tant de gens qui s?y joignent, c?est qu?il y a à l?intérieur de ce mouvement l?espoir d?une société crédible pour tous. De fait, les indignés ne peuvent pas être considérés comme des antisociaux. Ce sont des gens qui veulent une société. C?est un mouvement qui veut redéfinir les conditions de vie de l?humanité en ne laissant personne pour compte. Ces gens veulent des valeurs et ils veulent des raisons pour y adhérer et les transmettre. Ils veulent redéfinir ce qui est acceptable et ce qui est inacceptable. Ils veulent la justice et l?égalité. Il n?y a aucune violence dans le mouvement Occupy. La violence vient du système, et uniquement du système.
Ce que nous devons voir, d?ailleurs, c?est qu?il n?existe plus personne qui a l?autorité de nous faire marcher dans ce système. Aucun pays et aucun gouvernement n?a trouvé les mots pour convaincre les 99% qu?ils devaient rentrer chez eux. Et quand il n?y a plus d?autorité, il n?y a plus que la force et la répression pour soutenir le 1%. C?est ce qui se passe actuellement. Et plus ils utiliseront la force, plus ils susciteront l?indignation.
Les sociétés fonctionnent avec des discours. Nous vivons dans un village planétaire qui n?a pas de discours valable pour tous. Ils devront en inventer un. D?ici là, ce sera une histoire de censure, de répression et de contestation.
Je prends le risque de choisir mon camp et de le dire tout haut. Je le fais pour mon fils, pour mes proches et pour mes patients. Il n?est pas simple pour le psychiatre que je suis d?aider des gens à fonctionner dans un système malade.
J?espère que cette lettre n?aura pas été écrite en vain et que d?autres s?acquitteront de leur droit de parole et de leur devoir envers les générations futures.
Éric Chiasson, psychiatre
"Pour plus d'informations sur les conférences du Dr Willy Apollon (Psychanalyse et Mondialisation : Autrement... c'est quoi ? ... pour les survivants que nous sommes), veuillez vous référer au GIFRIC.COM."
<i>Source: lametropole.com</i>