La politique et la culture ont, de tout temps, fait un ballet d?attirance et de répulsion. Les politiciens, plus souvent qu?à leur tour, utilisent la culture à leurs desseins. Je vous demande humblement, même si l?opéra vous est indifférent, de lire ce texte et de regarder la vidéo.
Un moment magique ou culture, peuple et politique, tous présent sur le même parterre, interagissent. On s?aperçoit qu?avec le c?ur on comprend tous l?italien (traduction dans le texte ci-joint des paroles du Chef d?orchestre Riccardo Muti).
Le Québec souffre des mêmes maux, je ne peux faire mieux, alors partageons ce document et ses explications.
Contexte
Nabucco de Verdi est une ?uvre autant musicale que politique : elle évoque l'épisode de l'esclavage des juifs à Babylone, et le fameux chant « Va pensiero » est celui du Ch?ur des esclaves opprimés. En Italie, ce chant est le symbole de la quête de liberté du peuple, qui dans les années 1840 - époque où l'opéra fut écrit - était opprimé par l'empire des Habsbourg (Autriche), et qui se battit jusqu'à la création de l?Italie unifiée.
Avant la représentation, Gianni Alemanno, le maire de Rome, est monté sur scène pour prononcer un discours dénonçant les coupes dans le budget de la culture du gouvernement. Cette intervention politique, dans un moment culturel des plus symboliques pour l?Italie, allait produire un effet inattendu, d?autant plus que Sylvio Berlusconi assistait à la représentation?
Riccardo Muti, le chef d'orchestre, raconte ce qui fut une véritable soirée de révolution :
« Au tout début, il y a eu une grande ovation dans le public. Puis nous avons commencé l?opéra. Il se déroula très bien, mais lorsque nous en sommes arrivés au fameux chant Va Pensiero, j?ai immédiatement senti que l?atmosphère devenait tendue dans le public. Il y a des choses que vous ne pouvez pas décrire, mais que vous sentez. Auparavant, c?est le silence du public qui régnait. Mais au moment où les gens ont réalisé que le VaPensiero allait démarrer, le silence s?est rempli d?une véritable ferveur."
On pouvait sentir la réaction viscérale du public à la lamentation des esclaves qui chantent :
« Oh ma patrie, si belle et perdue ! ».
Alors que le Ch?ur arrivait à sa fin, dans le public certains s?écriaient déjà : « Bis ! » Le public commençait à crier « Vive l?Italie ! » et « Vive Verdi ! » Des gens du poulailler (places tout en haut de l?opéra) commencèrent à jeter des papiers remplis de messages patriotiques.
Bien qu?il l?eut déjà fait une seule fois à La Scala de Milan en 1986, Muti hésita à accorder le « bis » pour le Va pensiero. Pour lui, un opéra doit aller du début à la fin. « Je ne voulais pas faire simplement jouer un bis. Il fallait qu?il y ait une intention particulière. », raconte-t-il.
Mais le public avait déjà réveillé son sentiment patriotique. Dans un geste théâtral, le chef d?orchestre s?est alors retourné sur son podium, faisant face à la fois au public et à M. Berlusconi, et voilà ce qui s'est produit :
[Après que les appels pour un "bis" du "Va Pensiero" se soient tus, on entend dans le public : "Longue vie à l'Italie !"]
Traduction.
Le chef d'orchestre Riccardo Muti :
Oui, je suis d'accord avec ça, "Longue vie à l'Italie" mais...[applaudissements]
Muti : Je n'ai plus 30 ans et j'ai vécu ma vie, mais en tant qu'Italien qui a beaucoup parcouru le monde, j'ai honte de ce qui se passe dans mon pays. Donc j'acquiesce à votre demande de bis pour le "Va Pensiero" à nouveau. Ce n'est pas seulement pour la joie patriotique que je ressens, mais parce que ce soir, alors que je dirige le Choeur qui chantait "O mon pays, beau et perdu", j'ai pensé que si nous continuons ainsi, nous allons tuer la culture sur laquelle l'histoire de l'Italie est bâtie. Auquel cas, nous, notre patrie, serait vraiment "belle et perdue".
[Applaudissements à tout rompre, y compris des artistes sur scène]
Muti : Depuis que règne par ici un "climat italien", moi, Muti, je me suis tu depuis de trop longues années. Je voudrais, maintenant...nous devrions donner du sens à ce chant ; comme nous sommes dans notre Maison, le théâtre de la capitale, et avec un Choeur qui a chanté magnifiquement, et qui est accompagné magnifiquement, si vous le voulez bien, je vous propose de vous joindre à nous pour chanter tous ensemble.
C?est alors qu?il invita le public à chanter avec le Ch?ur des esclaves. « J?ai vu des groupes de gens se lever. Tout l?opéra de Rome s?est levé. Et le Ch?ur s?est lui aussi levé. Ce fut un moment magique dans l?opéra. »
Ce soir-là, fut non seulement une représentation du Nabucco, mais également une déclaration du théâtre de la capitale à l?attention des politiciens.