Lettre ouverte du député Lapointe sur le dossier Énergie Est
Projet Énergie Est de TransCanada PipeLine
Diffusion d'un plan stratégique de communication pour le Québec (très agressif) financé par TransCanada PipeLine (TCPL), changement de statut pour le béluga, déclaration du premier ministre québécois questionnant le projet de port pétrolier à Cacouna, les évènements significatifs autour du projet Énergie Est (ÉE) se bousculent ces dernières semaines. Et tout ça se produit avant même que les consultations de l'Office Nationale de l'Énergie du Canada (ONÉ) aient débuté (!).
Pour ma part, je représente une des circonscriptions les plus concernées par ce projet. Pour ces raisons, je crois important de prendre le temps nécessaire pour préciser mes positions sur ÉE. Voilà pourquoi, pour la première fois depuis mon élection, je me suis appliqué à écrire une lettre ouverte pour détailler mes observations et certaines conclusions.
LE TRAVAIL DES DERNIERS MOIS
Pendant des mois, j'ai contribué à faire la démonstration que les experts en mammifères marins de Pêches et Océans Canada (P & O) avaient été évincés, par le gouvernement conservateur, des processus d'autorisation des forages géotechniques. Puis, mes collègues du NPD et moi, avons conclu que le parlement canadien devait rejeter le projet de construction d'un port pétrolier au large de Cacouna. La motion que nous avons déposée à la Chambre il y a plusieurs semaines en témoigne.
Je suis donc heureux de constater que, depuis quelques jours, le gouvernement du Québec conclut que la construction d'un port pétrolier à Cacouna ne serait pas une bonne idée. Une majorité de députés de l'opposition plaident aussi, depuis quelques semaines, pour le rejet du projet.
Il aura fallu, pour en arriver là, une injonction de la Cour supérieure -- laquelle s'appuyait justement sur des preuves à l'effet que les experts avaient été bâillonnés -- pour suspendre les travaux de forages géotechniques, puis la démonstration que ces mêmes travaux généraient des sons de 120 dB bien au-delà des limites permises pour éviter de blesser les mammifères marins et, enfin, la décision du comité sur la situation des espèces en péril du Canada de classer le béluga de l'estuaire du Saint-Laurent comme espèce en voie de disparition. C'est beaucoup demander, mais c'est tout de même une bonne nouvelle.
De surcroît, l'impossibilité technique d'élaborer un plan d'intervention en cas de déversements en hiver, et des conclusions d'études décevantes quant au potentiel de création d'emplois, ont pesé lourd dans notre décision au NPD.
L'appui précipité, et visiblement irréfléchi, au projet de port pétrolier qu'a formulé le chef du parti libéral du Canada à Rimouski, l'été dernier, n'a pas aidé nos efforts. Durant nos mois de travail à Ottawa pour faire la lumière sur le bâillonnement des experts de P & O, les députés libéraux n'ont pas levé le petit doigt.
L'intérêt tardif de M. Stéphane Dion pour cette question n'influence en rien son parti; les libéraux ont tous voté contre notre motion demandant un rejet du projet de construction du port pétrolier.
D'ailleurs, rejeter le projet de port pétrolier à Cacouna correspond à l'opinion d'une majorité de Québécois. De plus, la large consultation que mon équipe et moi avons entreprise, il y a plus d'un mois, confirme toujours, après réception d'un nombre toujours grandissant de réponses, que plus de 60 % des Cacounois s'opposent à la construction d'un port pétrolier au large de leur municipalité.
LE TRAVAIL À VENIR, L'ONÉ ET LE CONTEXTE MONDIAL
Il est invraisemblable d'espérer que le gouvernement Harper rejette un projet pétrolier, et cela, même si les arguments allant en ce sens devaient se compter par milliers. Il n'est cependant pas impossible que le promoteur du projet prenne la décision qui s'impose et annonce l'abandon du projet d'un port pétrolier à Cacouna. Il est essentiel que TCPL annonce rapidement ses intentions, car il est inconcevable d'entamer les consultations de l'ONÉ sur ÉE sans connaître exactement ce qui est proposé.
Parmi les sites, autres que Cacouna, qui sont considérés par TCPL, il y a la Pointe St-Denis (Saint-Denis De La Bouteillerie). Je m'oppose immédiatement à ce choix potentiel. Les questions environnementales y seraient, à raison, tout aussi contraignantes.
Du reste, TCPL serait mal avisé de venir faire pression au Kamouraska après les informations troublantes qu'on peut lire, tout particulièrement au sujet des gens du Kamouraska, dans le plan stratégique agressif qui a été diffusé récemment.
Il y aurait un autre avantage à voir le promoteur renoncer à l'élément le plus controversé de son projet d'oléoduc, c'est-à-dire la construction d'installations pour transborder quotidiennement des centaines de milliers de barils de pétrole brut sur le fleuve Saint-Laurent.
Nous pourrions ainsi concentrer le débat sur les nombreuses questions fondamentales qu'impose un projet de construction d'oléoduc. Ces questions exigent des consultations inclusives et des réponses claires, c'est tout le contraire d'un plan de suppression des opinions des gens opposés au projet, ou légitimement inquiétés.
Je suis d'accord avec les propos de mon chef, M. Tom Mulcair, qu'on retrouvait dans une récente lettre ouverte au quotidien le Soleil : « Il faut revoir en profondeur la façon de faire de l'Office national de l'énergie...
Cela veut dire ouvrir le processus pour assurer une réelle transparence, une participation informée et significative des citoyens, une bonification des critères d'évaluation pour y inclure les effets globaux de chaque projet sur les émissions de gaz à effet de serre, l'impact sur les emplois au pays, la sécurité énergétique canadienne et régionale et la conformité à nos obligations légales envers les nations autochtones. »
Les récentes expériences -- comme le projet d'oléoduc Northern Gateway maintenant rejeté par une majorité de Canadiens -- démontrent qu'il est vraiment très peu probable qu'un processus transparent soit assuré par L'ONÉ dans le cadre des consultations sur ÉE. Encore plus inquiétant, une législation imposée par les conservateurs en 2012 interdit désormais l'inclusion de critères pour évaluer les effets sur les émissions de gaz à effet de serre dans le cadre des consultations de l'ONÉ, et plafonne la durée des consultations à 15 mois, ce qui est une aberration.
Les processus viciés accouchent généralement de recommandations viciées, nous en sommes tous conscients. Cependant, la politique de la chaise vide ne permettrait pas de défendre nos principes (réduction des gaz à effets de serre, internalisation des coûts, pollueur-payeur, etc.) dans les instances fédérales. Il faudra donc, malgré tout, qu'une voix progressiste et pancanadienne se fasse entendre pendant les consultations de l'ONÉ sur ÉE.
Ce rôle, que je considère être essentiel, ne peut être tenu que par le NPD.
J'ai, par ailleurs, une entière confiance dans la solidité des principes de mes collègues. Nous avons toujours, au NPD, posé les questions essentielles concernant autant la protection de l'environnement que les avantages et désavantages économiques des projets en évaluation lors de nos participations aux processus consultatifs.
Et, lorsque les conclusions de l'ONÉ n'assurent pas un développement durable des projets, le NPD s'est toujours opposé, comme ce fut le cas dans les dossiers de Keystone XL et Northern Gateway.
Personnellement, dans le cadre des consultations de l'ONÉ qui devraient débuter bientôt, j'appliquerai la même rigueur que celle que j'ai appliquée dans le dossier du port pétrolier. Je dénoncerai toute tentative de manipulation de l'information ou de suppression des opinions des experts qui voudront participer aux consultations.
Comme tous les autres progressistes, j'exigerai des réponses à L'ONÉ et à TCPL basées sur des critères de développement durable et sur la nécessité d'un bilan économique positif pour notre région et le Québec. Espérons, pour le bien commun, que TCPL mettra ses énormes ressources dans les évaluations nécessaires pour donner des réponses fiables et transparentes, et non pas dans la recherche de motifs immotivés pour salir les réputations de ceux qui posent des questions.
J'utilise consciemment le conditionnel à propos des consultations de l'ONÉ, il n'est pas impossible que les récentes décisions de l'OPEP influencent les décisions à moyen et long terme de l'industrie pétrolière des sables bitumineux. Ainsi, les États du Golfe seraient prêts à soutenir une période prolongée de bas prix pour le baril de pétrole. Le secteur de la production de pétrole non traditionnel, dont font partie les sables bitumineux, pourrait donc vivre de l'insécurité quant à la rentabilité de la ressource.
Plus de 500 000 emplois dépendent de cette ressource non renouvelable au Canada, le contexte mondial des prochains mois devrait amener l'ensemble des Canadiens à bien réfléchir à notre avenir énergétique.
LES ACTIONS À PRENDRE ET LA CONCLUSION
En terminant, il nous faut retenir des leçons positives des évènements récents. D'abord, la création d'une Zone de Protection Marine pour l'estuaire du Saint-Laurent doit se faire le plus rapidement possible.
Ensuite, il faut que le gouvernement fédéral trouve des moyens pour favoriser une augmentation des activités économiques du port de Cacouna qui correspondrait à sa mission première, c'est-à-dire augmenter le trafic de marchandises. Lorsque fait correctement, le transport maritime offre des avantages pour l'environnement et l'économie.
Préparer un avenir basé sur une prospérité durable pour nos enfants est une obligation que nous avons tous collectivement. Aucun plan stratégique d'une multinationale, aussi imposante soit-elle, aucune réglementation conçue pour restreindre les consultations et les évaluations environnementales, ne m'empêcheront de travailler dans ce sens.